Qu’attendre d’une exposition ?

Photo Pascaline Peretti, exposition Jérôme Zonder à la Maison Rouge
Photo Pascaline Peretti, exposition Jérôme Zonder à la Maison Rouge



Visiter une exposition semble une opération évidente. Il suffit de marcher, s’arrêter de temps à autre pour considérer une oeuvre un peu plus longuement, se déplacer de quelques pas, recommencer, et finir par acheter le catalogue ou au moins, quelques cartes postales. Mais à l’intérieur de cette attitude générique, quelques questions pratiques se posent : combien de temps est-il adéquat de consacrer à chaque oeuvre ? A quelle distance des oeuvres se tenir ? Est-il plus sérieux de prendre des notes ? Est-on autorisé à expédier les dernières salles à la hâte si l’on a déjà un peu trop piétiné ? Quelques éléments de réponse bien utiles.

Si l’attitude du spectateur à l’intérieur de l’exposition ne saurait suivre une approche méthodique, c’est que nous sommes versatiles. Et que nos attentes à l’égard d’une exposition varient selon notre intérêt pour le sujet, nos objectifs et nos humeurs.

Demandons-nous d’abord quelles sont les motivations qui nous poussent vers cette exposition, car celles-ci conditionneront peut-être notre attitude de visiteur. Parmi ces motivations, on pourrait distinguer :

  • le médium
  • le lieu d’exposition, la manifestation
  • le nom du commissaire de l’exposition ou de l’artiste
  • la thématique de l’exposition
  • sans oublier l’action des nombreux prescripteurs (la couverture médiatique, l’amie spécialiste qui nous a recommandé l’expo, etc).

Ces motivations sont à la base de notre engagement qui sera vécu différemment selon que nous serons novice, passionné ou spécialiste.


Photo Pascaline Peretti, exposition Berdaguer et Pejus au Palais de Tokyo
Photo Pascaline Peretti, exposition Berdaguer et Pejus au Palais de Tokyo



Mettons-nous maintenant dans la peau des différentes typologies de visiteur.

Le critique

Je vais dans une exposition dans le but d’être capable d’en faire la critique, de penser quelque chose, non pas de l’artiste présenté ou des oeuvres, mais de l’exposition elle-même. Afin de communiquer avec mon entourage (et de l’impressionner), j’en ferai une analyse, je souleverai ce qui est réussi ou moins réussi dans l’exposition. Je la comparerai à d’autres expositions sur le même sujet (de préférence vues à l’étranger et il y a quelques années, car je suis un érudit). Peut-être même parviendrai-je à faire apparaître le message sous-jacent à l’exposition.

Je dirai des phrases comme : j’ai trouvé l’accrochage très intelligent ou bien : la présentation chronologique de l’oeuvre est un peu plan-plan, un découpage thématique eût été plus fécond.

L’esthète-picoreur

Ce que je cherche dans l’exposition, c’est mon plaisir. Celui-ci va s’exercer à sporadiquement sur certaines oeuvres. Elles m’appellent, me surprennent, me séduisent. De l’exposition, ne resteront que des flashes ponctuels que je retrouverai dans le catalogue, plus tard, au creux de mon canapé.

Phrase : j’adore définitivement ce photographe ou bien : l’expo n’était pas géniale mais j’ai kiffé quelques trucs.

Le constructeur-picoreur

Je vais voir l’exposition car elle va m’ouvrir des pistes pour construire un cours. Ou bien elle m’enverra des stimulations créatives pour créer à mon tour. Une vision globale de l’exposition ne m’intéresse pas, je cherche des questionnements intéressants ou des documents que j’utiliserai ensuite. On pourrait dire que je fais mon marché culturel.

Phrase : des phrases dans tous les sens sur le carnet de notes du constructeur-picoreur.

Le bienheureux

Je ne sais pas ce qui m’arrive (rendez-vous sentimental ? Petit verre de Chablis du midi ?), mais à l’instant où je suis entré dans l’exposition, je n’ai plus pensé à rien d’autre qu’à regarder, à me laisser aller. J’ai six ans, Noël approche, ma maman m’amène aux Galeries Lafayette pour la première fois, il fait chaud et il y a des lumières partout. Mes yeux brillent. Je n’oublierai jamais. Voilà : l’exposition se déroule comme dans un rêve, j’aime tout.

Phrase : je n’arrive pas à faire des phrases tellement c’est… c’est… non, je n’y arrive pas.

Le bon copain

Je vais voir l’exposition parce que l’artiste est un pote et il y aura plein d’autres potes au vernissage (notez que le bon copain peut se doubler d’un stratège en relations publiques).

Phrase : mais bien sûr que je viens ! A tout à l’heure !


Photo Pascaline Peretti, exposition Jérôme Zonder à la Maison Rouge
Photo Pascaline Peretti, exposition Jérôme Zonder à la Maison Rouge



Deux questions.

Est-on obligé de se construire une attitude de visiteur ? Je crois que cela se fait à notre insu : car nous aimerions tous que chaque exposition nous désarme suffisamment pour faire de nous un bienheureux. Mais l’attitude construite (qui n’est rien d’autre que notre rapport à l’esthétique) est surtout un mode de confort, voire de protection pour ce moment tant redouté : celui où rien n’arrive, où l’on ne ressent rien. Celui où l’exposition nous est parfaitement indifférente ou hermétique. Et où nous craignons que cela vienne moins de l’exposition (son contenu, sa forme, sa problématique) que… de nous-mêmes.

Enfin, peut-on entrer glisser d’une attitude à l’autre au sein d’une même exposition ? Entrer dans un rôle (le constructeur-picoreur) et sortir dans un autre (le critique) ?

Pour le savoir, nous mettrons cette question à l’épreuve de deux expositions-phares de cette saison parisienne, Soulèvements, au Jeu de Paume et The Color Line, au Musée du Quai Branly. A lire dans la prochaine chronique.