La photo est-elle prédéterminée par son format ?

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Choisir le format de la photo (horizontal, vertical ou carré) n’est pas qu’une simple affaire de cadrage ou de composition. C’est une opération qui implique un certain type de rapport au sujet photographié et à ce qu’on va lui faire dire. Creusons un peu plus en profondeur la structure de l’image photographique.


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J’emploie souvent une métaphore pour décrire l’opération qui consiste à prendre une photo : celle du filet à papillon. Si l’on veut capturer un lépidoptère quelconque, la taille et la forme du filet à papillon importent peu : il suffit que celui-ci soit assez large et ses mailles suffisamment resserrées. Pour le débutant en photo, il en est de même du cadre photographique. Il considère que s’il a capturé ce qui devait se trouver dans le cadre (évènement, chose ou être vivant), l’opération est réussie. Or, en photo, il ne s’agit pas simplement de capturer des éléments à l’intérieur du cadre photographique : leur positionnement entre en relation avec le format de l’image. Un peu comme si la forme du filet influait sur le type de papillon qui allait se trouver pris au piège*…

Commençons par dégager les différents types de format qui s’offrent au photographe. J’en distinguerai trois :

– le rectangle dont la base est plus large que la hauteur (format horizontal)

– le rectangle dont la base est plus étroite que la hauteur (format vertical)

– le format carré

Notons que les caractéristiques techniques des supports argentiques et des capteurs numériques ont engendré une multitude de formats correspondant aux deux premières catégories (24×36, 4,5×6, 6×9, 6×7, etc) mais qu’ils n’en sont que des cas particuliers. Ce que l’on peut dire aussi à propos du format panoramique, comme on le verra plus loin.

Notons aussi que ce format rectangulaire n’est jamais qu’un recadrage dans le cercle image créé par l’objectif (dont la forme devrait, logiquement, générer une image ronde) et qu’il a existé à plusieurs reprises des images rondes dans l’histoire de la photographie.


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Essayons de démontrer à présent que chaque format s’adapte différemment à son contenu et que, par-delà ses caractéristiques géométriques, il est porteur d’une dimension philosophique et peut-être même, anthropologique.

– Premier format : le rectangle à base étroite, format dit portrait dans le langage de la peinture. Sorte d’image debout, elle favorise une saisie globale, comme un effet-miroir. L’image debout serait un peu l’équivalent de la figure humaine : sa forme me donne ma position, elle me renforce dans ma dimension : elle me met debout à mon tour. Ce qui génère une forme de confrontation, à caractère impliquant.


copyright Rineke Dijkstra
copyright Rineke Dijkstra



– Deuxième format, le rectangle à base large, format dit paysage en peinture : je dirais que ce format, précisément parce que sa base est large, génère une forme de lecture. A l’instar du volumen romain (le premier type de livre) qui se déroulait de la gauche vers la droite, il favorise une progression dans la compréhension de la photo, donc une forme de lecture.


Jeune romaine passionnée par son volumen
Jeune romaine passionnée par son volumen



Plus cérébral que physique, il est donc adapté au paysage (on peut dire que l’oeil lit le paysage en suivant la ligne d’horizon) mais surtout à la scène : la photo présente un évènement qu’il faut comprendre, peut-être décrypter. Si anthropologiquement, le format vertical est celui du corps humain, alors le format horizontal est une forme de brique, élément propre à la construction (narrative). Le spectateur se raconte plus facilement une histoire avec le format horizontal qu’avec le format vertical.


Copyright Daido Moriyama
Copyright Daido Moriyama



En ce sens, on voit bien que le format panoramique est le format le plus représentatif de cette conception narrative. Il ne se saisit qu’à travers une lecture déroulante.


Copyright Josef Koudelka
Copyright Josef Koudelka



Je sais ce que vous allez m’objecter : il y a de la saisie horizontale et de la narration verticale. C’est vrai (un exemple de narration verticale ci-dessous) mais c’est globalement plus rare.


copyright Michel Van Den Eeckhoudt
copyright Michel Van Den Eeckhoudt



– Troisième format : le carré, format qui centre et concentre. Equilibré, définitivement équilibré puisque ses côtés sont tous égaux, le carré concentre le regard et se passe du hors-champ. Il en devient une forme si autonome qu’elle en est presque enclose sur elle-même. Le carré est un bloc monolithique, une sorte de parole ponctuelle qui a un caractère d’évidence.

Les photographes le savent bien : toute image tient dans un carré. Déplacez un peu le viseur vers la gauche ou vers la droite, l’image tient toujours. C’est pourquoi il est bien difficile d’être original dans ce format. Et en cela, l’image ronde est peut-être très proche de l’image carrée : un format qui, n’entraînant aucun déséquilibre, finit presque par dominer son contenu. Et qui, du coup, est passionnant à explorer. Chercher à travailler à l’intérieur du carré, c’est se poser des problèmes de géomètre plutôt qu’élaborer du discours.

Alors, bien sûr, le défi peut devenir celui de pervertir cette forme, de l’infiltrer jusqu’à la faire éclater, ce que réussit extraordinairement Larry Fink. Par sa manière de trancher dans le visible, il reste à mes yeux un incroyable inventeur de formes à l’intérieur du carré.


Copyright Larry Fink
Copyright Larry Fink



Copyright Larry Fink
Copyright Larry Fink



Si l’on me suit dans cette approche, on admettra que le format n’est pas neutre mais conditionne le type d’image photographique à venir. Remontons encore un peu plus en amont. Pourquoi ces formats géométriques à angle droit ? Pourquoi le rond ne s’est-il pas plus développé ? Pourquoi pas des trapèzes, des losanges ou des triangles ? Simplement parce que l’image photographique s’est indexée sur la page blanche du livre (bien sûr le livre en particulier et tous les supports imprimés doivent aussi répondre à des contraintes techniques).

Le cadre de l’image est comme la page vierge : le lieu où tout peut s’écrire, où tout peut se dire, où tout peut se lire. Bien sûr, un livre pourrait être triangulaire ou trapézoïdal : cela en ferait un objet singulier induisant une lecture bouleversée. Un cas particulier. Mais le cadre comme la page blanche sont des conventions nécessaires pour poser le lieu où tout peut prendre place. Livres, images, fenêtres, écrans : nous vivons en regardant des cadres. Nous vivons à l’intérieur de cadres. C’est la condition moderne de notre liberté.


Copyright Elina Brotherus, Annonciation
Copyright Elina Brotherus, Annonciation



Dans un prochain article, nous étudierons si tous ces formats s’adaptent à nos écrans ou si ces outils, à leur tour, conditionnent les formats

*on comprendra que, puisque nous parlons ici d’images capturées, la réflexion que je vais développer pourrait plus aisément être contredite dans le cadre d’une photographie mise en scène.