« Heureusement que je ne suis pas allée aux Beaux-Arts, on m’y aurait peut-être appris à dessiner correctement ».

Sans titre, 2016. stylo à bille sur papier, 21 x 29.5 cm
Sans titre, 2016. stylo à bille sur papier, 21 x 29.5 cm



Mais que veut dire exactement l’artiste brésilienne Marilena Pelosi à travers cette phrase qui sonne comme une provocation mais traduit pourtant rigoureusement sa pensée ? Comment pourrait-on tirer avantage de ne pas savoir dessiner, ou plutôt de ne pas avoir appris à dessiner ? De ne pas avoir appris les règles et les conventions du dessin d’artiste, de ne pas avoir suivi les enseignements d’un professeur d’art ?


Sans titre, 2014. stylo à bille sur papier, 21 x 30 cm
Sans titre, 2014. stylo à bille sur papier, 21 x 30 cm



Pour percer à jour le sens de cette phrase, j’ai entamé une conversation avec l’artiste. Et pour commencer, je lui demandé de me raconter une séance de travail.

Marilena Pelosi (accent brésilien chaloupé, français parfait, elle choisit ses mots avec une grande précision) : je dessine tous les jours, avec une grande discipline, car je ne peux dessiner que le matin, après le petit-déjeuner. De toutes façons, passées trois heures de l’après-midi, je ne pourrais plus dessiner, car je suis entrée dans le monde pratique et quotidien.

Je m’assois à ma table. Au début, c’est flou et puis, quand je commence à dessiner, ça devient moins flou, les formes s’enchaînent. Ce n’est pas une sorte d’au-delà qui me dicte les visions. Il y a bien une vision mais c’est comme si elle était dans un espace de ma tête, et que je devais y accéder par le cheminement des images et des idées qui apparaissent sur le papier. La vision n’est pas entière au moment où je dessine, elle se complète au fur et à mesure. Au bout de quarante-cinq minutes, je ressens une grand fatigue mentale, alors je range le dessin et je le reprendrai le lendemain. Il sera terminé en une, deux ou trois séances.

Je ne modifie jamais et je ne critique jamais mes dessins.


Mère, père, fille et être supérieur, 2016. graphite sur papier, 24 x 27.5 cm.
Mère, père, fille et être supérieur, 2016. graphite sur papier, 24 x 27.5 cm.



J’interroge alors Marilena sur sa conception de l’art, car je sais qu’elle ne se tient nullement à l’écart du monde de l’art et visite beaucoup d’expositions.

Marilena Pelosi : si je vais dans une exposition et que la personne est allé aux Beaux-Arts, je trouve que la proposition est souvent froide, formatée, sans spontanéité. C’est comme si l’apprentissage avait bouché l’expression artistique au lieu de la libérer. Quand je regarde ces oeuvres, je ne ressens pas d’amour esthétique. Mais je ne veux pas généraliser, il y a des personnes à qui les Beaux-Arts vont très bien convenir…

L’amour esthétique : l’expression me touche au plus profond, tant elle exprime la réciprocité de la relation artiste/oeuvre et oeuvre/spectateur. Une relation qui transite par l’oeuvre pour créer un lien amoureux. Une conception de l’oeuvre à l’opposé d’une stratégie d’effets ou d’une construction programmatique.


Sans titre, 2016. stylo à bille rouge sur papier, 21 x 30 cm.
Sans titre, 2016. stylo à bille rouge sur papier, 21 x 30 cm.



Considérant que, dans ses dessins, Marilena n’applique pas les règles de la perspective centrale, je lui demande sa position vis-à-vis de ces règles. Elle me répond tranquillement, sans s’alarmer : la perspective n’est qu’une solution et je suis fascinée de voir à quel point les artistes bruts trouvent d’autres solutions qui n’ont rien à voir avec les codes de représentation. Tous les artistes, à toutes les époques, cherchent et trouvent des solutions.

Ultime question (piège) : est-ce que votre dessin s’améliore ?

Marilena Pelosi : non, il y a de nouveaux symboles, mais les corps et les rituels sont toujours là. Mon dessin n’a pas de raisons de changer.


Sans titre, 2016. stylo à bille sur papier, 15 x 21 cm
Sans titre, 2016. stylo à bille sur papier, 15 x 21 cm



Notre phrase de départ s’est éclaircie : car à bien regarder les dessins de Marilena, qu’aurait-elle eu à gagner à pratiquer des exercices, des expérimentations plastiques suggérées par un professeur d’atelier ? Qu’aurait-elle eu à faire de savants rehauts et d’ombrages dégradés ? Son dessin serait-il devenu plus juste parce qu’il aurait respecté les lignes de perspectives ?

Si l’on considère les arts plastiques sous l’angle d’un langage qui se décomposerait en vocabulaire de formes articulées selon des syntaxes diverses, le dessin serait une sorte de parole devenue visuelle. Force est alors de constater que Marilena Pelosi dispose de tout le vocabulaire dont elle a besoin. Et que sa syntaxe n’est ni réduite ni défaillante. Elle est adaptée et lui appartient en propre. Et si la finalité du dessin est l’expression de la vérité plutôt que la vérité de l’expression, quel code extérieur pourrait se présenter comme un moyen assuré d’y parvenir ?

Marilena Pelosi : dessiner, c’est l’activité dans laquelle je sens libérée des entraves de ce monde. Je veux juste éviter la froideur.


Catharsis, l’exposition de Marilena Pelosi se tient à la Galerie Christian Berst à Paris jusqu’au 25 février 2017
Toutes les images présentées dans l’article sont copyright Marilena Pelosi et Galerie Christian Berst art brut