Alba’ hian, la photographie à l’aube des possibles

©Joana Choumali, Holding those strings, 2019, de la série Alba’ hian

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Viser d’autres formes du réel en hybridant la photographie, c’est le projet éblouissant de Joana Choumali, profond coup de coeur de notre chroniqueuse, Silvy Crespo.

Prendre le temps.
Prendre son temps et regarder.

La Haye, Pays-Bas

Face à ma fenêtre, il y a un arbre. A l’aube, je le regarde. Nous nous saluons, voisins et amis silencieux. Témoin de mes humeurs, bonnes ou mauvaises, chaque jour il me murmure des mots apaisants. Je le regarde et bien que je le reconnaisse, chaque jour il m’apparaît, à l’aurore, sous une lumière nouvelle. Aujourd’hui est un recommencement.

©Joana Choumali, Alba’ hian

Abidjan, Côte d’Ivoire

Des silhouettes de dos marchent le long d’une route dont on ne sait ni ou elle mène, ni ou elle s’arrête. Ce sont des hommes, des femmes, des enfants. Ils cheminent jusqu’à se fondre dans la douceur d’un ciel omniprésent, dont les couleurs pastel annoncent l’imminente levée du jour.

Une scène de vie. Une scène de la vie de milliers de personnes, anonymes, qui tous les jours, à l’aube, se lèvent pour aller gagner leur pain. Une scène du quotidien de l’artiste Joana Choumali à qui l’on doit la superbe série Alba’ hian, qui veut dire la première lumière du jour en langue Agni, langue parlée par les Akans.

Joana est une artiste visuelle et photographe ivoirienne qui vit et travaille à Abidjan. La plupart de ses projets tournent autour de l’identité, du rapport au corps et de la féminité.

Si Joana est une portraitiste incroyable, et je pense ici à la puissance des visages qu’elle a su immortaliser dans la série Haabre, elle nous montre avec la série Alba’hian une autre facette de sa pratique photographique, qui mêle images cousues sur toile, broderie, collage et matelassage.

©Joana Choumali, The uneasy passage, 2018, de la série Alba’ hian

J’ai eu le plaisir de pouvoir m’entretenir avec cette artiste inspirante et bienveillante qui déclare sans ambages, travailler en catharsis totale.

Plutôt que de choisir de recourir à des logiciels de traitement, Joana opte pour une approche analogue, manuelle, qui donne à ses images une texture si particulière et une aura de rêverie éveillée. Jamais le percement d’une aiguille n’a paru si doux.

Joana prend le temps de créer. Instinctivement et avec minutie, elle dépose sur la toile de coton, des languettes de mousseline, de tulle ou de gaze, parfois jusqu’à cinquante, pour rendre au spectateur son bouleversement intérieur lorsque sa ville s’éveille, avant que l’agitation ne s’empare des rues. Viendront s’ajouter des silhouettes, issues des photographies de rue qu’elle effectue lors de ses marches matinales, qu’elle coud à la main.

Comme elle le souligne, ce processus est une sorte de méditation. En intervenant sur la surface, en la touchant, par la superposition de couches de tissus et partant de strates de mémoires, en répétant ces petits points de broderie, chaque photographie se transforme en une forme de thérapie qui permet de se reconnecter à soi-même et aux autres, de dire en image ce que l’on ne peut exprimer par des mots.

© Joana Choumali, Where should I leave this, de la série Alba’ hian

Dans ce travail photographique, souvenirs et émotions se cumulent, ceux de l’artiste mais aussi les nôtres car finalement cette aube ne nous est-elle pas commune pour peu que nous la regardions ?

Comme le dit Joana, les gens sensibles se reconnaissent comme par Bluetooth. Nous nous sommes reconnues à travers des connexions invisibles, celles que la surface de la toile nous dissimule ; je me suis reconnue dans cette aube : l’aube des possibles auprès de mon arbre.

Prix Pictet

Viens Voir félicite Joana pour avoir remporté le prix Pictet, reconnaissance méritée pour une femme artiste qui, à travers son travail, nous invite à la résilience.

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Silvy Crespo est passionnée par la photographie, l’architecture et les chats. Pour ViensVoir, elle va dénicher des coups de cœur photographiques aux quatre coins de l’Europe (et même encore plus loin).


Alba’ hian, photography at the dawn of the possible

Aiming at other forms of reality by hybridizing photography is Joana Choumali’s dazzling project, a deep favorite of our columnist, Silvy Crespo.

Taking time.
Take your time and looking.

The Hague, Netherlands.

In front of my window, there is a tree. At dawn, I look at it. We greet each other, neighbors and silent friends. Witness of my moods, good or bad, every day it whispers soothing words to me. I look at it and although I recognize it, every day it appears to me, at dawn, under a new light. Today is a new beginning.

Abidjan, Ivory Coast.

Silhouettes, seen from the back, walk along a road; we don’t know where the road leads or where it stops. They are men, women, children. They walk until they blend into the softness of an omnipresent sky, the pastel colors of which announce the imminent dawn of the day.

A life scene. A scene from the lives of thousands of people, anonymous, who every day, at dawn, get up to earn their living. A scene from the daily life of the artist Joana Choumali, to whom we owe the superb series Alba’ hian, which means the first light of day in the Agni language, a language spoken by the Akans.

Joana is an Ivorian visual artist and photographer who lives and works in Abidjan. Most of her projects revolve around identity, relationship to the body and femininity.

If Joana is an incredible portraitist, and I am thinking here of the power of the faces she has immortalized in the Haabre series, she shows us, with the Alba’hian series, another facet of her photographic practice, which combines images sewn on canvas, embroidery, collage and quilting.

I had the pleasure of talking to this inspiring and benevolent artist who declares unambiguously that she works in total catharsis.

Rather than using processing software, Joana chooses an analog, manual approach, that gives her images such a special texture and a daydreaming aura. Never has the piercing of a needle seemed so soft.

Joana takes the time to create. Instinctively and meticulously, she places on the cotton canvas, strips of muslin, tulle or gauze, sometimes up to fifty, to communicate to the viewer her inner upheaval when her city awakens, before the agitation takes over the streets. She then adds silhouettes from the street photographs she captures during her morning walks, sewing them by hand.

As she points out, this process is a kind of meditation. By intervening on the surface, by touching it, by superimposing layers of fabric and thus, layers of memory, by repeating these small embroidery stitches, each photograph is transformed into a form of therapy that allows her to reconnect with herself and others, to say with images what cannot be expressed with words.

In this photographic work, memories and emotions combine, those of the artist but also ours because, after all, isn’t this dawn common to all of us if only we would look at it?

As Joana says, sensitive people recognize themselves as if they were connected via Bluetooth. We recognized ourselves through invisible connections, those that the surface of the canvas hides from us; I recognized myself in this dawn: the dawn of the possible near my tree.

Prix Pictet

Congratulations Joana on winning the Prix Pictet, a well-deserved recognition for a woman artist who, through her work, invites us to resilience.

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Silvy Crespo is passionate about photography, architecture and cats. For ViensVoir, she finds photographic favorites from all over Europe (and even further afield).