Des photos pour condamner les bourreaux

Une BD historique lève le voile sur un épisode méconnu de la photographie dans les camps de concentration, pendant la seconde guerre mondiale. Ce témoignage passionnant sur un acte de résistance rare est relaté dans « Le Photographe de Mauthausen » de Pedro J.Colombo (dessin), Salva Rubio (scénario) et Aintzane Landa (couleurs), qui vient de paraître aux Editions du Lombard.

© RUBIO / COLOMBO / LANDA / ÉDITIONS DU LOMBARD (DARGAUD-LOMBARD S.A.) 2017

De la même façon que le biopic est devenu un genre cinématographique, la biographie devient un genre de la bande dessinée, à tel point qu’un rayon entier lui est consacrée chez certains libraires.

Voici justement la biographie de Francisco Boix, un déporté au destin bien singulier. Personnage réel de cette BD qui en compte quelques autres, mais fait aussi une large part à la fiction pour imaginer scènes et personnages, Boix fut un républicain espagnol exilé après la guerre civile et interné au camp de Mauthausen.

Pour celles et ceux qui s’intéressent au rapport entre la photographie et les camps, certaines occurences sont bien connues depuis « Mémoires des Camps », en 2001, exposition dont le commissaire était Clément Chéroux (catalogue dont la cote est aujourd’hui élevée mais très riche en photos et analyses).

Voici quelques-unes de ces occurences :
– Dans chaque camp de concentration, il y avait un service photographie. Celui-ci servait d’abord et surtout à l’identification des déportés. Mais les soldats nazis l’utilisaient aussi pour leurs photos personnelles, celles qu’ils envoyaient à leur famille ou à leur petite amie.
– Sous la direction de militaires allemands, ces services employaient des déportés .
– Les photos à l’intérieur des camps étaient strictement interdites. Il y en eut bien quelques-unes, pour témoigner du zèle de l’administration allemande, ou lors de visites officielles, mais ce fut très rare. De plus, lors de l’évacuation des camps, la plupart des archives devaient impérativement être détruites.
– Quelques actions de résistance ont permis de sauver des photos documentant la vie (et la mort) dans les camps, mais elles sont encore plus rares.

© RUBIO / COLOMBO / LANDA / ÉDITIONS DU LOMBARD (DARGAUD-LOMBARD S.A.) 2017

L’histoire racontée dans « Le Photographe de Mauthausen » n’en est que plus indispensable. D’autant plus que cette histoire est étrangement absente de « Mémoires des Camps », alors qu’elle était tout à fait connue à ce moment-là.

La photographie y occupe évidemment un rôle central, surtout à travers quatre aspects :
– Le fonctionnement du service photographie dans un camp et l’incroyable difficulté à détourner des images de l’attention des autorités nazies, afin de témoigner contre elles plus tard.
– Les débats éthiques qui animent la communauté espagnole quant au danger que ces images lui font courir.
-Le personnage (réel) du nazi Paul Ricken, sorte d’esthète de la mise à mort, représentatif du sadisme de certains bourreaux, bien loin de la banalité du mal que soulignait Hannah Arendt.

© RUBIO / COLOMBO / LANDA / ÉDITIONS DU LOMBARD (DARGAUD-LOMBARD S.A.) 2017

– La place qu’ont prise les images lors du procès de Nuremberg (sujet dont j’ai déjà parlé sur viensvoir et sur OAI13, ici )

© RUBIO / COLOMBO / LANDA / ÉDITIONS DU LOMBARD (DARGAUD-LOMBARD S.A.) 2017

Pour toutes ces raisons, la lecture du « Photographe de Mauthausen » se révèle précieuse, voire indispensable. Le scénario de Salva Rubio est rigoureux et s’appuie sur une solide documentation. Le dessin de Pedro J.Colombo est souple et réaliste, d’un classicisme qui facilité l’entrée dans le sujet et dans l’album.
Enfin, il se pose une question esthétique qui m’intéresse beaucoup et que je vais décortiquer un jour : par quelles stratégies graphiques les dessinateurs représentent-ils une photographie en bande dessinée ? Quel glissement permet de faire comprendre que le dessin est devenu le dessin d’une photo ?
(A suivre, donc)

Vous pouvez lire les premières pages de l’album sur le site du Lombard : ici