Terre à l’horizon

© Denis Darzacq et Anna Iris Lüneman, Double Mix

Elle a quitté les magasins de vaisselle pour envahir les expositions d’art contemporain. Et depuis, elle s’étale en vitrine de tous les concept-stores et commence même à s’unir à la photographie. Mais qui est ce « Elle » ? La céramique, bien sûr ! Viensvoir donne une carte blanche à Laure Chagnon pour comprendre un peu mieux pourquoi la céramique est si hype, images à l’appui.

Sortie de l’oubli pendant les années 70, la pratique artistique de la terre a un peu pâti de l’esthétique très marquée de ses redécouvreurs. Un art certes né au néolithique, mais qui sent bon l’herbe et les chemises à fleurs : parler poterie, c’est sourire un peu.
Mais aujourd’hui, l’art contemporain a complètement retourné cet artisanat, l’entrainant dans des questionnements plus vastes, des dispositifs audacieux et une reconnaissance institutionnelle. La céramique, c’est chic.
Oui mais pourquoi ?
Il y a dans l’art de la céramique quelque chose d’immédiat, de physique. Un axe très rapide de l’idée à la forme : croquis pour les sculpteurs, objet pratique et bon marché pour les sociétés paysannes, technique hyper-plastique pour les artistes contemporains. La céramique sait se rendre malléable à tous les projets.
Un art du peu avec lequel on peut beaucoup.

© Laure Chagnon

Résumons en quelques idées fortes
L’argile inspire :
Richard Long l’artiste marcheur projette sur les murs des galeries celle de sa rivière Avon. Thierry Fontaine le photographe enfouit son visage dans la terre Réunionnaise. Miguel Barcelo et Josef Nadj, dans une surprenante performance, créent une dance orgiaque et potière.

Paso Doble ,Miguel Barcelo et Josef Nadj, fondation Beyeler, © photo Agusti Torres

L’épreuve du feu :
Pour devenir céramique l’argile modelée doit être cuite. C’est cette transformation moléculaire qui permet à une pièce de devenir stable et pérenne.
Mais une étape qui conditionne aussi les œuvres à la taille des fours.
Les artistes actuels contournent le problème en créant des œuvres invasives qui partent à l’assaut des murs. (cf Michel Gouery)

© Michel Gouéry, Goueryfication, courtesy Galerie Annede Villepoix

Ai Wei Wei sème à travers le monde ses 100 millions de graines de tournesols en porcelaine (réalisées par 1600 ouvriers pendant deux ans)
Elmar Trenwalder choisit lui l’assemblage pour bâtir ses cathédrales sensuelles et délicieusement exotiques.

© Elmar Trenkwalder, courtesy Galerie Bernard Jordan

On se réjouit de voir peu à peu ces œuvres de terre échapper à leur statut d’objet manipulable.
Certains feignent de le regretter et jouent malicieusement avec ce que fut la céramique pendant des siècles (voir le travail de Paul Scott ou ici Sébastien Gouju).

© Sébastien Gouju, courtesy Galerie Sémiose, Paris

Colombins : la part d’enfance.
Modeler, jouer avec la terre c’est parfois redevenir un enfant : laisser place au pulsionnel, au régressif, au mal fait.
On s’éloigne ici de la notion de maitrise qui engeôle parfois le praticien dans son atelier. Libre, l’artiste se complaît dans d’exaltants tripatouillages.
On pense ici à Paul Mac Carthy ou à Kiki Smith.

© Paul Mac Carthy, Dwarf 1

Pour conclure j’aimerais parler d’un mariage curieux mais réjouissant : celui de la céramique et de la photographie.
L’épousée s’imprimant sur des pièces de porcelaine comme le propose Sophie Gouilleux.
Ou bien Cindy Sherman en Madame de Pompadour décorant un service à thé.
Mais l’union qui me semble peut-être la plus heureuse est celle du photographe Denis Darzacq avec la céramiste Anna Iris Lüneman. Ensemble, ils créent Double Mix, une hybridation très réussie entre la photo et la terre émaillée. 2D et 3D s’étreignent, créant une image forte et troublante : un objet photographique, joyeusement transdisciplinaire qui ouvre la voie à de nouvelles alliances audacieuses.

© Denis Darzacq et Anna Iris Lüneman, Double Mix

Choisie par les artistes pour sa matérialité à l’heure où l’art s’épanouit dans le virtuel, l’artiste céramiste a de beaux défis à relever : sortir du carcan disciplinaire tout en étudiant avec sérieux les contraintes techniques et, si la terre ne ment pas, lui faire parler le langage de notre époque.

A voir :
La Cité de la Céramique à Sèvres ici
La Borne, village de potier et centre de formation ici

A lire :
Art Press 2 : la céramique au-delà de la céramique

Formée à l’école des Arts Décoratifs, Laure Chagnon développe sa pratique artistique autour de créations hybrides mêlant photographie, verre et céramique. Elle anime actuellement un atelier libre de céramique à Paris.