Marcel Proust revisité : c’est le projet de « Fous de Proust », la stimulante exposition qui se tient encore pour quelques jours au château de Montsoreau – Musée d’art contemporain. Vite !
Combien de temps faut-il attendre pour qu’une œuvre artistique soit fertile et non plus seulement célébrée ? Peut-être beaucoup plus qu’une centaine d’année si l’on en juge par les hommages générés par le centenaire de la mort de Marcel Proust en 2022. En effet, la plupart des expositions ou des émissions qui lui ont été consacré se sont concentrées sur la biographie de l’écrivain ou sur la fabrique de l’oeuvre. Un monument littéraire livré au commentaire pour l’éternité.
Une autre approche de Proust
C’est une tout autre approche qu’a adopté l’exposition « Fous de Proust » au château de Montsoreau- Musée d’art contemporain en considérant la mythologie proustienne comme un point de départ plutôt que comme un point d’arrivée. Proust comme moteur (ou comme carburant), voilà qui nous éloigne des manuels scolaires et du petit tas de secrets des amours de l’écrivain.
Et de fait, Fous de Proust se développe comme une exposition-concept (commissariat de Léa Bismuth) et choisit, pour évoquer l’oeuvre, des chemins détournés qui nous reconduisent toutefois dans la bibliothèque, la chambre et surtout, dans l’atelier qui, pour Proust, se confondait d’ailleurs souvent avec la chambre.
Ni manuscrit, ni fétiche
Pas de manuscrits donc, dans cette exposition. C’eût été trop risqué : l’artiste Jérémie Bennequin les aurait peut-être consciencieusement gommés pour n’en conserver qu’un monticule de pelures. Ce faisant, il n’aurait pas perdu son temps, contribuant ainsi à autoriser de nouvelles écritures et donc, de nouvelles lectures.
Pas de fétiche non plus puisque l’authentique élément de la bibliothèque de la comtesse Greffuhle (le modèle de la duchesse de Guermantes) s’encanaille pour accueillir entre autres, un livre-brique de Robert Filliou intitulé Je meurs trop. Un volume dont le titre, comme souvent avec Robert Filliou, joue de la langue pour combiner humour et vertige existentiel, et qui aurait obligé Madame Verdurin (spoiler alert : la future princesse de Guermantes) à dissimuler son rire silencieux derrière sa main.
Ce n’est bien sûr pas un hasard si de nombreuses pièces de l’exposition associent l’art et la langue, comme pour mieux résonner avec l’ensemble unique du groupe Art & Language rassemblé par le collectionneur Philippe Méaille, réparti sur deux étages du château de Montsoreau.
On n’entre pas dans cette exposition, on y plonge. Et dès la première salle, comme en écho à la plongée vers le souvenir, le visiteur baigne dans la bibliothèque de l’artiste conceptuel Allen Ruppersberg, immergé dans la lecture inépuisable des détails de ces photographies à l’échelle 1. Dans la salle suivante nous nous laisserons absorber dans le balancement hypnotique des plans du film expérimental, La Chambre, tourné par Chantal Akerman en 1972.
Au coeur du temps
Plus on avance dans les salles, plus le temps s’étire et se dissout. Ainsi, à travers les dispositifs de On Kawara I Got Up, I M et I Went, comme un journal infini qui raconte moins les évènements d’une vie qu’il ne rend visible l’écoulement du temps. Le fantôme de Roman Opalka n’est pas loin de hanter les volumes du château…
À la Recherche du Temps Perdu : miracle d’une œuvre aussi marquée historiquement que socialement et que chacun.e s’approprie intimement. Cela ne saurait mieux apparaître que dans Proust lu, travail collaboratif organisé/produit par Véronique Aubouy : la phrase incarnée dans des attitudes, des voix, des corps.
Reste à s’éveiller pour quitter le songe. C’est l’écrivain Christophe Fiat qui s’en charge d’une ultime pichenette littéraire qui, pour le moins, bouscule le style proustien.
Dans la nuit qui suivit la mort de Charlie Parker, des graffitis avaient surgi sur les murs de New York. Seulement deux mots, que le poète Ted Joans avait écrit à travers la ville : « Bird Lives ! » (Bird, le surnom du saxophoniste).
A notre tour, irons-nous taguer sur les murs d’Illiers-Combray cette vérité définitive : « Proust Lives ! » ?