En ce mois de novembre, le paysage photographique est omniprésent. D’abord, dans la très riche exposition Paysages français, une aventure photographique 1984-2017, présentée à la BNF. Ensuite, dans la programmation de plusieurs galeries parisiennes qui poursuivent cette même thématique. Enfin, jusqu’à l’auteur de ce blog dont le prochain cycle de conférences intitulé Une autre histoire de l’art creusera précisément cette notion de paysage (on y revient très vite).
Alors, bien sûr, on a tendance à voir du paysage partout (on a raison : tout est susceptible de se constituer en paysage). Plus particulièrement dans cette nouvelle édition de Paris Photo qui se tient au Grand Palais jusqu’à dimanche. Et justement, puisque je cherche toujours à dégager des grandes lignes ou débusquer de nouvelles tendances, plusieurs oeuvres m’ont semblé converger vers une même recherche. Pas exactement sur le paysage, mais plutôt sur la notion d’espace, qui lui est intimement liée. L’espace comme fil rouge de la visite de Paris Photo.
Essayons d’expliquer. Ici, deux notions : le paysage, comme morceau d’espace déployé et cadré par le photographe ; et l’espace, c’est-à-dire l’air (ou le vide) entre les éléments saillants du paysage et les bords du cadre. Cet espace peut même devenir le sujet principal de la photo (cf Cézanne : je ne peins pas les choses, je peins l’air qui est entre les choses). C’est ça : l’espace, c’est le entre. Notons d’ailleurs, dans l’exposition de la BNF, les titres de plusieurs photos de Yann de Fareins : Entre Dourbies (Gard) et Saint-Jean-du-Bruel (Aveyron) ou Entre Sommières (Gard) et Restinclières (Hérault).
En ce sens, il est possible de dire que toute photographie de paysage travaille sur l’espace. Ou du moins, avec l’espace. Celui-ci (l’air, le vide) est peut-être la part la moins visible de l’image, par rapport à ce qui est plus saillant, matériel, délimité : elle entre néanmoins à part égale dans la perception du paysage par le spectateur.
Voilà donc que plusieurs photographes poussent cette idée plus loin. Comment ? D’abord, en décollant la photo du réel représenté. Et surtout, en s’appuyant sur le volume donné à l’espace intersticiel.
Premier stade avec la photo de Cai Dongdong, galerie M97: la forme de l’élément-arbre se trouve déviée, voire contredite par l’enroulement. Il y a bien mise en volume, dans une verticalité qui redouble celle de l’arbre, plus précisément, la forme tronc. Mais l’intérieur est creux, vide, et le paysage se clôt sur lui-même plus qu’il ne se montre. Une forme de jeu avec la photo.
Deuxième exemple avec la photo de Michel Le Belhomme, Galerie Binome (photo en tête de l’article). Simple en apparence, mais si subtilement métaphysique : le visible n’a ni envers ni fin, mais se présente plutôt comme une sorte de bande de Möbius. Intérieur-extérieur, part d’ombre qui gagne sur le réel. Ce réel occupant lui-même une portion réduite dans la partie inférieure du fond sombre de l’image. Et bien sûr, une dimension liée à l’absence de continuité entre paysage de campagne et territoire urbain. Lacan s’était intéressé à la bande de Möbius, il aurait sûrement aimé cette image.
Les deux photos suivantes adoptent un point commun : donner du volume en bombant la surface de la photographie. Cartographie aérienne pour Carla Cabanas, sur le stand toujours pénétrant de la galerie Carlos Carvalho : le bombement redouble les courbes de niveaux de la carte. Les parties évidées accentuent les réseaux de communication ou révèlent des angles morts du territoire. Mais surtout, le bombement ouvre la carte : sous la surface du visible, se déploie un monde potentiel, souterrain, tellurique, celui que nous ne voyons pas et qui soutient l’ensemble du visible.
Enfin, dernier exemple avec les Chambres d’Apesanteur de Gabriela Morawetz, galerie Thessa Herold. Si difficiles à photographier que je préfère renvoyer aux images de son site ici, mais surtout, à vous inviter à les expérimenter de visu. Le verre convexe est partie intégrante de l’oeuvre. Il dédouble l’espace représenté tout en contenant un espace intermédiaire. Pas du tout un effet de réel ou de troisième dimension, mais plutôt l’instauration d’un espace idéel, qui pourrait être celui de la pensée. On n’est pas très loin de certaines images de Laurent Millet.
Une vraie réflexion sur le potentiel de la surface photographique, à l’opposé de certaines recherches qui tiennent plus de la bonne idée ou du gadget.