Marine Peixoto : la photo cash



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Ça s’appelle Repas Chaud.

A l’image, des mains qui saisissent des barquettes de frites, remplissent des plateaux-repas, appuient sur des bidons de moutarde, se servent de généreuses rasades de ketchup. Couverts en plastiques, saucisses ou côtes de porc, un peu de salade quand même.

C’est photographié crûment, au flash, sans chichis.

N’y cherchez pas de symbolique ou de métaphore, pas de second degré crypté ou de références subtiles. Non. C’est de la photo cash. Directe. D’une efficacité sans faille.

N’en déduisez pas pour autant que ça ne voudrait rien dire. Que ce qui est à l’image ne pourrait pas être porteur de sens. Rencontre avec Marine Peixoto. Où, mine de rien, il va être beaucoup question de pratique photographique.

Très vite, la bio : premières photos pour « faire de la photo », pas pour photographier un évènement, vers 13-14 ans, avec l’appareil de sa mère. Lycée en arts appliqués à Nîmes. Arts décos en graphisme puis en art. Naissance d’un vaste projet à tiroirs intitulé Grand Sud. Très attirée par la photogénie des Etats-Unis. Stephen Shore, Ed Ruscha. Voyage là-bas : « l’impression de vivre à l’intérieur d’un décor ». Retour dans le sud, à Montpellier. Avec, en tête, une sorte d’équivalence entre certaines régions des Etats-Unis et ce sud-là.

Je lui demande : « Dans le sud, tu aimes les endroits que tu photographies ? »

Elle soupire. « Ça construit de partout, j’aime pas vraiment ça. Du coup, je me sens moins impliquée. Et ce que je photographie, ça devient un matériau. Je regarde ça sans affect.

– Qu’est-ce qui t’intéresse là-dedans ? Tu condenses le paysage, tu essaies de concentrer des éléments du sud ?

– Oui, des fois. Le palmier, le crépi, c’est représentatif. Et là (photo ci-dessous), les choses sont à leur bonne place. Mais d’autres fois, c’est juste une bizarrerie qui m’attire. »


Sans titre, extrait de Grand Sud, 2012
Sans titre, extrait de Grand Sud, 2012



Survient alors un épisode qui constitue un tournant dans sa pratique : le vol de l’ensemble de son matériel photo. Etrangement, Marine parle beaucoup de matos, cite de nombreux modèles d’appareils. C’est d’autant plus paradoxal que sa photo sans esbrouffe ni effets apparents, semble faire l’économie de longs questionnements techniques. Presque huit mois sans faire de photo. Et puis, nouveau matériel, donc nouvelle façon de regarder les choses.


Sans titre, extrait de Nouveau Sud, 2016
Sans titre, extrait de Nouveau Sud, 2016



Elle retourne dans le sud, suit sa mère et la photographie. Comme une autre porte d’entrée à Grand Sud.

Elle me dit : « Un truc important pour moi, dans l’idée de faire de la photo, ou même de l’art (sic), c’est : qu’est-ce qu’on fait avec ce qu’on a ? On travaille avec sa propre matière. Quand je vais dans le sud, je loge chez ma mère. Elle est employée à la mairie, va à la mer le week-end, fait ses courses dans les grandes surfaces. Voilà, tout ça tient ensemble parce que ça tourne autour d’une seule personne. Et en même temps, dans ces photos, c’est vraiment le sud. »


Sans titre, extraits de le Sud et le Feu (titre provisoire), 2015-2016
Sans titre, extraits de le Sud et le Feu (titre provisoire), 2015-2016



Et moi de constater : « Tu sembles à l’opposé d’une photo sociologique.

– Je n’ai pas de projet construit préalablement : l’enjeu, pour moi, ce n’est pas de dire quelque chose, mais de faire ressentir quelque chose. Pour autant, je ne fais pas des photos isolées, je photographie en pensant à créer un ensemble. »

Marine Peixoto se défend ardemment de toute idée préalable de ce à quoi les images pourraient ressembler. Met toujours en avant l’évènement visuel. Et ne veut surtout pas être enfermée dans un style photographique. Quelques références dicrètes ponctueront notre entretien : Robert Adams, Michael Schmidt, Wolfgang Tillmans…


Extraits de Fête Locale, 2015-2016
Extraits de Fête Locale, 2015-2016



On regarde Fête Locale, je parle d’une approche plus reportage ; elle s’en défend en citant, en réponse, le peintre abstrait Ellsworth Kelly : « la perception et la manière dont les choses s’ajoutent les unes aux autres : c’est comme une sorte de chaos. Et nous essayons de sortir quelque chose de ce chaos. »

Repas chaud fait partie d’un projet éditorial dont l’autre volet s’intitule Richesse, photos en noir et blanc de différents agencements de pièces et billets dans le tiroir de la caisse enregistreuse. Repas Chaud vient d’une prise de vue lors d’un rassemblement américain (le Wild West Show festival à Mertzwiller, organisé par l’association Los Amigos). Beaucoup de photos, actions, portraits, dont elle ne gardera pourtant que ces images très simples, frontales, prises autour du buffet. Evacuant tout pittoresque pour ne retenir que ces évènements et ces formes ordinaires. Ce qui frappe, c’est cette esthétique presque pauvre, à l’opposé de la précision clinique de certaines photos contemporaines. Et qui n’adopte pas non plus le regard grinçant d’un Martin Parr, mais dresse le constat descriptif de comportements et de formes qui sont constitutifs de nos sociétés.


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« – Tu as des influences cachées, invisibles ?

– J’aime bien photographier les mains. J’ai toute une collection de livres de photos pratiques qui m’ont certainement influencée. Je suis sensible à ce qu’ils développent, une description précise des actions. »


livres


Une conversation avec Marine Peixoto, c’est une course de slalom. Face à toute interprétation intellectuelle, elle adopte la position de l’artisan, axée sur le faire, agissant avant de se questionner. Mais si on met en avant l’efficacité de ses images au premier degré, elle invoque Truman Capote ou recherche dans son carnet une citation d’Albert Camus : l’art se trouve entre le refus et le consentement, au point de tension entre les deux.

Décidément, Marine Peixoto ne ressemble à personne. Encore une preuve ? En avant-première, une image de son prochain projet. Ça s’appelle Chien Fromage


Chien Fromage
Chien Fromage