Une nouvelle signature apparaît sur Viensvoir, celle de Silvy Crespo. Et pour ses débuts, elle met son coeur à nu pour parler de la série de Salvatore Vitale : « The Moon Was Broken ».
Un matin de juin.
Je me réveille en sursaut. Un rêve, ou un cauchemar, c’est selon, fait resurgir un souvenir d’enfance. Un souvenir, gai ou triste, là aussi c’est selon.
Un souvenir de cette matinée où, à peine âgée de cinq ans, je suis tombée sur une photographie dont je ne pouvais alors comprendre ni ce dont elle témoignait, ni ce qu’elle disait de mon histoire familiale, de mon père, de mon identité.
La lune. Une nuit de juillet.
A l’occasion d’un festival consacré à la photographie, ma route croise celle de Salvatore Vitale, jeune photographe sicilien, actuellement basé en Suisse, auteur d’une série intitulée « The Moon Was Broken » (La lune était cassée), réalisée entre 2014 et 2016.
A l’origine de cette série, un souvenir d’enfance.
Salvatore a cinq ans. Il vit en Sicile. Un soir, alors que ses parents et lui rentrent d’un parc aquatique, assis à l’arrière du véhicule familial, il remarque qu’un nuage coupe la lune en deux. Une angoisse inexplicable, de celle que seul l’imaginaire infantile peut engendrer, s’empare de lui. Les larmes jaillissent. La lune est cassée dans son regard d’enfant.
Quelques jours après, son père est victime d’un accident de la circulation qui aurait pu lui coûter la vie.
Des années plus tard, ce souvenir d’une lune brisée refait surface. Salvatore est alors adulte mais l’angoisse demeure la même. Son père est malade.
Salvatore a toujours été proche de son père, un père dont il explique qu’en bon sicilien il ne dit rien de ses sentiments. On n’exprime pas ses émotions, une attitude qui n’est pas sans me rappeler ma propre famille.
La photographie devient alors outil de rapprochement. Dire en image ce que l’on ne peut dire avec les mots.
Ces émotions, la force de celles-ci, le spectateur les devine au travers des images. Des images graphiques, à la composition rigoureuse et aux tonalités sombres, qui représentent tantôt le père et le fils, tantôt des lieux ou des symboles, dont on comprend qu’ils évoquent des souvenirs, des émotions, des angoisses ou des questions en suspens.
Salvatore privilégie les images symboliques, celles qui ne se livrent pas, celles qui nous invitent à l’introspection, à la recherche, à la réflexion. Cela tient sans doute au fait que, comme il aime à le dire, avant d’être photographe, il se veut avant tout chercheur, la photographie n’étant qu’un outil au service de ses investigations.
Des images fortes et pudiques qui parlent de la complexité des rapports entre un père et un fils.
Des images qui me parlent de ma relation avec mon père vieillissant. Un père admiré mais un père jamais compris. Des images qui, finalement, vont au-delà d’une histoire de famille pour nous parler de vous, de moi, de nous, de notre condition.
La lune, selon Mircéa Eliade, historien des religions, mythologue, philosophe et romancier roumain, est un astre qui croit, décroit, disparait et renait, un astre soumis aux lois de la naissance et de la mort.
La lune est alors une unité rythmique duelle, symbolisant le passage de la vie à la mort et de la mort à la vie.
La lune, dans cette série, renvoie aussi à la figure paternelle : celle qui nous a donné la vie et que l’on redoute de perdre. Le 1er septembre dernier, le père de Salvatore s’est éteint. La lune s’est cassée. Mais cassure ne signifie pas disparition. Car à travers cette série Giovanni Vitale nait dans nos vies.
La lune s’est simplement endormie.
Le site de Salvatore Vitale c’est ici
Silvy Crespo est passionnée par la photographie, l’architecture et les chats. Pour ViensVoir, elle ira dénicher des coups de cœur photographiques aux quatre coins de l’Europe (et même encore plus loin).