Si la matière noire est invisible et constitue pourtant 95% du cosmos, qu’a donc bien pu photographier Geoffroy Mathieu dans son livre publié ces jours-ci aux Editions Poursuite ?
Photographier le monde n’est pas si facile. C’est une épreuve, à chaque fois. Savoir où poser les yeux. Identifier. Isoler. Cadrer. Faire parler. Se sentir en charge de ça : le visible à conserver, à transmettre. Avec, quelque part dans un recoin de la mémoire, toutes les occasions ratées : parce que le visible, ou le vécu, ont débordé la photo.
J’ouvre le livre de Geoffroy Mathieu. C’est le matin, très tôt. Je me remémore notre conversation, dans un café de la Gare de Lyon. Je pense, en regardant les photos, qu’il faudrait arriver à ne presque pas en parler. Mais les laisser s’installer, monter lentement comme ces fumées lourdes qui envahissent progressivement une scène de concert en commençant par ramper sur le sol avant de s’élever en se dissolvant. Je me dis que même cette métaphore est vaine. Que ce n’est pas comme ça. Que, plutôt, le visible nous fait face dans une sorte de défi.
Plusieurs matins de suite, je commence ma journée en ouvrant le livre. J’ai l’impression qu’il m’échappe à chaque fois. Qu’il résiste. Je relis les notes que j’ai prises pendant la conversation avec Geoffroy. Elles aussi résistent : ici, j’ai griffonné essence d’objet. Un peu plus loin : que le pessimisme et le dense puissent être sauvés par l’acuité (je ne sais plus si c’est Geoffroy qui l’a dit ou moi qui ait synthétisé ses paroles). Et encore : je veux fuir toute narration.
Et puis, ce moment où il a parlé de son rapport à la photographie selon les différents âges de la vie. Trentenaire : la décennie de la construction. Quarantenaire : une décennie où la maladie, la perte, le tragique ont pris plus de place. Et ça se ressent forcément dans les photos.
Je me souviens qu’à propos du sujet des images, il évoquait des choses lourdes, ancrées, pas déplaçables, parfois absurdes. Quelque chose de tellurique qui intègre aussi du vivant. La matière comme un évènement.
Ce n’est pas que le livre soit muet, c’est qu’il ne se laisse pas dire. C’est que le commentaire ne paraît pas être la bonne façon de parler de ces images indécises.
Demain matin, je l’ouvrirai.
Et je resterai encore sur cette image :
Matière Noire de Geoffroy Mathieu : une exposition dans le cadre du Festival LA PHOTOGRAPHIE MARSEILLE #7, du 16 décembre au 4 février 2018, Galerie Salle des Machines, Friche de la Belle de Mai, 41 rue Jobin, Marseille 3ème
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