Dans l’intimité du jazz avec Pascal Kober

Le ballet des photographes (Jean-Philippe Pichon, David Redferns, Martin Stahl, Gianni Paolo Pillon, Christian Rose, Philippe Cibille et Sylvain Frappat) avec Pat Metheny, Herbie Hancock et Dave Holland, Festival Jazz à Vienne, 1990, © Pascal Kober

Qui ne s’est jamais trouvé à quelques centimètres d’un pavillon de saxo soufflant à plein volume ne connait pas vraiment la puissance de la musique. La musique : ce truc qui nous touche l’âme ou le corps et qui établit une connexion intime entre nous et le musicien. Entre les deux, la photographie, qui nous rapproche d’une voix, d’un doigté, d’un souffle. C’est-à-dire, l’intimité visuelle de la musique. Entretien en images avec Pascal Kober, entre tendresse et coup de gueule !

Photo et musique : un sujet qui, pour moi, fait constamment retour. Depuis quelques bases iconographiques posées sur OAI13 en 2014 (ici), jusqu’aux images de Yves Marchand et Romain Meffre mises en son (ici). Sans oublier le récent article de Camille Sauer sur la visualisation du son (ici). Aujourd’hui, on s’aventure backstage, du côté du photographe, en improvisant un petit chase avec Pascal Kober.

Pascal Kober, c’est quatre décennies de photos de jazz qui vous contemplent. On l’écoute :

Viensvoir : dans toutes les images que tu as réalisées, quelle est ta photo de coeur ?

Lou Tavano, Jazz Club de Grenoble, 2012, © Pascal Kober

Pascal Kober : Lou Tavano, parce que j’ai pu saisir cet instant de grâce dans un petit club de jazz. Là où vit cette musique. Des conditions de reportage qui n’existent hélas quasiment plus dans les grands festivals. Lou aime Bali, la Russie et la musique classique. Et ça me suffirait pour l’aimer…

« Pour ceux qui n’aiment pas le jazz » : en 1992, je titrais ainsi un texte qui se concluait par : « L’amour du jazz est un cheminement, avec des étapes où il fait bon se reposer avant d’aborder d’autres aventures. Un seul fil conducteur : la curiosité. Sans laquelle rien n’a jamais été possible. Il existe mille façons d’aimer le jazz. Comme il existe mille manières d’aimer. Tout court. » Écoutez Lou Tavano. Son dernier album s’intitule « For You »… Pour toi.

La photo qui a été la plus difficile à faire ?

Melody Gardot et Edwin Livingstone, Festival Jazz à Vienne, 2015, © Pascal Kober

Je connais Melody depuis les années où elle composait ses « Bedroom sessions » depuis son lit d’hôpital. Et nous avons passé de délicieux instants ensemble autour d’un verre de vin, à grignoter fromage et saucisson dans un petit hôtel de Barcelonnette, dans les Alpes-de-Haute-Provence. En dépit de cette proximité amicale, Melody reste extrêmement protégée par son entourage d’artiste et il est extrêmement difficile de la photographier dans de bonnes conditions en situation de concert.

Celle dont tu es le plus fier ?

Joe Zawinul, Festival Jazz à Vienne, 1991,© Pascal Kober

Sur les gradins du théâtre romain, le créateur de Weather Report, pourtant originaire de l’Autriche, est fasciné, comme la plupart des musiciens venus du Nouveau Monde, par ces vieilles pierres chargées de près de deux mille ans d’histoire. Une image « off the record » avec un point de vue totalement improbable qu’il a fallu savoir saisir sur le vif.

Le musicien le plus sympa avec les photographes ?

Lisa Simone, Festival Jazz à Vienne, 2016, © Pascal Kober

J’avais rencontré Nina, sa maman, en 1992, dans un festival à Pointe-à-Pitre, aux Caraïbes. Pas facile, la maman… Et vie tout aussi peu facile pour Lisa, sa fille. L’ancienne de l’US Air Force est en empathie immédiate avec son public et avec tous ceux qu’elle rencontre, photographes y compris. Ce jour-là, elle m’a accordé deux petites séances photos. La première en mode glamour en studio. La seconde, ici, plus décontractée, pour ce portrait « à la John Lennon » dont je sais qu’elle l’adore (le portrait, tout comme Lennon !).

Et le ou la plus, disons…délicate à photographier ?

Eliane Elias, 2005, Jazz à Vannes, © Pascal Kober


Musicalement, ce soir-là, la pianiste brésilienne, reste dans les classiques de la bossa nova, ceux du grand Antonio Carlos Jobim. Et si l’on sent sur scène un tel plaisir de jouer, notamment chez le jeune guitariste Gustavo Saiani, c’est que justement, il y a là des années de métier. Presque trop si l’on en croit les réflexions d’Eliane Elias au photographe durant le sound-check : « Avez-vous fait assez des photos ? » Assez de photos ! Comme si la photo était un sport ! Et toi, Eliane, as-tu fait assez de notes ? Il faut s’emporter sur ces dérives marketing de la scène jazz quant à la (juste) place de la photographie et, incidemment, de la mémoire du jazz dans l’histoire de cette musique…

Ta meilleure photo backstage ?

Terri Lyne Carrington, Festival Jazz à Vienne, 1990, © Pascal Kober

Terri Lyne Carrington était venue se relaxer après son sound check avec Stan Getz, qu’elle accompagnait alors à la batterie. Quelques minutes auparavant, je lui avais offert deux petits tirages de courtoisie. Portraits réalisés lors d’un précédent concert. Souvenirs… Elle les avait délicatement glissés entre les pages d’une biographie d’Angela Davis. De telles scènes sont aujourd’hui de plus en plus difficiles à saisir en raison de la volonté hégémonique de l’entourage de certains artistes de contrôler leur image. Demain, seront-elles encore possibles ? Que restera-t-il de la mémoire photographique du jazz si de telles pratiques devaient se développer ?

Allez Pascal, un petit rappel :

Ta photo favorite dans toute l’histoire du jazz ?

Pascal Kober : c’est non pas l’œuvre d’un photographe de jazz mais celle d’un très grand nom de la photographie, Irving Penn, dont l’œuvre est actuellement exposée à Paris.
Irving avait réalisé plusieurs portraits de Miles Davis (ainsi que des mains du trompettiste) pour le livret de son disque intitulé Tutu. Une image essentielle pour moi (celle de la pochette) en ce qu’elle dit beaucoup, à la fois de la personnalité de Miles et de celle du photographe, mais aussi de l’histoire du jazz. Magistrale au sens premier du terme.

Abécédaire amoureux du jazz
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Plus de 200 photos couleurs et noir & blanc
Format 20 x 20 cm
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Éditions Snoeck
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