Le film photographique : quand la photo se scénarise

©Valentin Sidorenko

 

Pour la deuxième année consécutive, Viens Voir est partenaire du Prix LNP du film photographique. Un prix qui récompense un lauréat russe à l’approche intimiste et plastique : Valentin Sidorenko.

Année après année cette forme encore jeune qu’est le film photographique ouvre sur des écritures très diverses. Depuis le diaporama sonore légèrement animé jusqu’à des films activant subtilement des mécanismes intermédiaires entre l’image fixe et sa mise en mouvement, le film photographique est un territoire en exploration et donc, en expansion. C’est ce qui est apparu dans la diversité de la sélection présentée au jury et lors des tables rondes consacrées, lors de la manifestation « Les Nuits Photos » qui s’est tenue  à l’Espace Jemmapes les 5 et 6 novembre dernier.

Roots of the heart grow together
de Valentin Sidorenko

« Roots of the heart grow together », le film de Valentin Sidorenko, est une réinterpretation de photographies familiales qu’il présente ainsi :

Ma famille a toujours été un tout – les membres de la famille du côté de ma mère et de mon père se réunissaient pour les mariages, les anniversaires et les fêtes de fin d’année. Ce lien commençait à se briser lorsque je suis né, au milieu des années 90. Des membres de ma famille sont morts avant que j’aie pu les connaître, leur parler, les aimer. Des années plus tard, j’ai commencé à les rencontrer séparément via nos archives de photos de famille. C’est ainsi qu’a commencé ma recherche sur les racines familiales.

Il m’est apparu que la famille n’est pas seulement formée des personnes avec lesquelles on passe son enfance, mais aussi de la mémoire qui peut générer des liens à travers le temps, et donc briser les frontières. En effet, deux familles vivant dans des lieux différents à des époques différentes ne peuvent rien avoir en commun, mais elles peuvent avoir un avenir commun. Chacun de nous, en étant né, complète la chaîne dans le présent, mais la chaîne n’existe pas sans la mémoire.

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Paradise
de Maxime Riché

Paradise, de Maxime Riché, Mention spéciale du Jury, ne laissera pas le spectateur insensible tant il préfigure les mégafeux qui, sous l’action du réchauffement climatique, seront de plus en plus fréquents dans un futur malheureusement proche.
Le 8 novembre 2018, le mégafeu Camp Fire a ravagé la ville de Paradise en Californie en moins de quatre heures. Désastre le plus coûteux à ce jour, il a causé la mort de 89 personnes et détruit 18 800 structures, forçant certains à l’exode à travers les Etats-Unis, plongeant de nombreux autres dans une précarité redoutable. Dans toutes les symboliques depuis le mythe prométhéen, le feu et sa maîtrise procurent à l’homme son pouvoir sur la nature et le distingue du reste du vivant. Mais les mégafeux n’épargnent désormais plus aucune région du globe : de plus en plus fréquents et incontrôlables, ils nous renvoient à nos fragilités et notre condition d’êtres mortels. Les flammes s’approchent désormais chaque année de Paradise, comme un défi aux divinités qui auraient investi cette ville-icône. Le North Complex Fire, l’un des plus grands mégafeux de l’été 2020, a brûlé à quelques miles de Paradise. Le Dixie Fire, actif de juillet à fin octobre 2021, s’est hissé au premier rang des plus grands feux de l’histoire de l’état, consumant 390 000 hectares. Il a débuté à moins d’un kilomètre du départ de Camp Fire trois ans auparavant, sur les mêmes collines inaccessibles quadrillées de lignes à haute tension qui fournissent leur énergie aux villes avoisinantes.

Je me suis rendu à Paradise en 2020 et à nouveau à l’été 2021 pour rencontrer ceux qui ont décidé de rebâtir leur « paradis » dans un lieu qui semble maintenant brutalement inhospitalier. Certains semblent pris au piège dans la construction d’une mythologie personnelle propre aux cultures pionnières de l’ouest américain, quand d’autres sont encore paralysés par le traumatisme vécu, incapables de fuir. Pour retranscrire de façon sensible leurs émotions et leurs vécus, j’emploie un film infrarouge dont les tonalités embrasées viennent ponctuer la normalité ténue d’une vie qu’ils essaient de reconstruire. Ces images, « flash-back » suggestifs de l’enfer vécu par les habitants cet Eden déchu, servent à rappeler la mémoire des flammes gravées sur la rétine des survivants, telle une hallucination vécue quotidiennement alors qu’ils reconstruisent avec la peur du prochain incendie au ventre.
Pour une ville nommée avec tant de symbolisme, cette série nous invite à considérer le sens originel du mot apocalyptique : la fable de Paradise nous laisse entrevoir le prochain lieu, l’Australie, le Brésil, la Sibérie, la Grèce, la Turquie ou un autre, qui devra passer par ce lent processus de cicatrisation après des catastrophes dont les causes sont, de façon croissante, humaines. Elle suggère notre séparation toujours plus grande avec la nature, notre hubris à vouloir aller contre elle à tout prix.

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Et le coup de coeur
Et pour conclure, Viens Voir aimerait ajouter sa petite mention coup de coeur pour le film de Samy Benammar : Sous-ex.

 


 

Les Nuits Photos

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Les 12 autres finalités

  • Géraldine Aresteanu – 24H à l’EHPAD Marcel Gaujard
  • Samy Benammar – Sous-ex
  • Quentin Désidéri – Lettre à Chiara
  • Mahé Elipe – De l’absence germent les fleurs
  • Jean-Félix Fayolle – Hecho en Barrio // Fabriqué au Quartier
  • Nicolas Gallon / Contextes – Une situation globalement assez satisfaisante
  • Elsa Serna Gimenez – Cyclique
  • Jérémie Lusseau / Guilhem Delteil- A bord de l’Ocean Viking
  • Serena Porcher-Carli – Enzo
  • Pauline Quinonero – Florence
  • Eric de Roquefeuil – Nulla dies sine linea
  • Aurélie Scouarnec – Feræ