Laurence Aëgerter au Petit Palais ou les ricochets de l’art

©Laurence Aëgerter, Confetti, 2019, 58 038 confettis, imprimés en double face

Le Petit Palais invite cet automne Laurence Aëgerter à intervenir au sein du musée et de ses collections pour sa première exposition monographique à Paris. Un dialogue sensible et poétique.

Parmi les arts qui se perdent depuis que les éléments naturels ne sont plus le terrain de jeu (et d’épreuve) privilégié des enfants, celui du ricochet n’est pas aussi mineur qu’il en a l’air. Pour bien le réussir, il ne suffit pas de disposer d’une certaine habileté manuelle : il faut avoir sélectionné le projectile le mieux adapté et estimé correctement les qualités de la surface de rebond. La conjonction de ce mélange de savoir-faire et de chance dessinera une trajectoire imprévisible et la plus longue possible, afin de viser une forme de miracle : un caillou qui, au lieu de s’enfoncer dans l’eau, devient si léger qu’il puisse s’envoler en l’air encore et encore.

Certaines pensées artistiques savent être aussi légères : ainsi celles de Certaines pensées artistiques savent être aussi légères : ainsi celles de Laurence Aëgerter invitée à développer des interventions multiformes au sein des collections du Petit Palais.

Laurence Aëgerter, Elinga, de la série Compositions catalytiques, 2018

Réveiller le regard

Attirer de nouveaux publics, faire redécouvrir un lieu (car, si vous l’aviez oublié, le Petit Palais recèle des trésors qui occuperaient une belle place au Louvre ou au Musée d’Orsay), et surtout réveiller le regard : ces dialogues entre art contemporain et art classique sont incroyablement féconds quand ils sont réussis.

Réveiller le regard, c’est d’abord le porter sur ce que l’on croit connaître. Ainsi les Soleils couchant sur la Seine à Lavacourt, par Monet que, dois-je avouer, j’ai confondus dans l’instant avec l’Impression, soleil levant conservée au musée Marmottan. Même gamme de bleus (quoique plus pâle dans le tableau du Petit Palais), même stridence du soleil orangé décomposé dans les vaguelettes du fleuve, même touche de pinceau en mouvement, comme épousant le cours de la Seine : tout concourt à brouiller le souvenir des images.

Alors, encore une fois, détailler le tableau. Avant de le contourner pour découvrir la tapisserie de Laurence Aëgerter qui en livre ici une interpétation inspirée : par le jeu sur les motifs (reflet du reflet de l’îlot touffu sur lequel s’élève un peuplier), par la répétition et l’étirement vertical du cercle orangé. Le tableau (transformé en tapisserie) devient très musical, déroulant une sorte de mélopée ascendante aussi bien que descendante.

©Laurence Aëgerter, Soleils couchants sur la Seine à Lavacourt, 2020, tapisserie jacquard en fils mixtes dont mohair et lurex, 260×165 cm.

Toucher du regard

Mais c’est en abandonnant le point de vue frontal pour une vision plus latérale que la suprise devient haptique (pour en appeler à un toucher du regard) : un buisson de fils surgit de la forme naturelle du motif des feuillages. Ce sont les fils de la tapisserie, hérissés comme ils se présentent habituellement au revers de la tapisserie, là où le dessin s’estompe pour révéler les noeuds. Ce retournement de la surface opère comme un effet de volume qui, plutôt que de renforcer le réalisme, décompose encore plus la dimension figurative du tableau. Glissement de la notion d’impression accolée aux peintres lmpressionnistes …

Si Laurence Aëgerter opère sur les oeuvres existantes par ajout ou déplacement (ici au sens sémantique), un moteur de ses actions repose sur une perturbation de la perception. Parfois si subtile et ténue que l’écho de l’oeuvre est encore là : ainsi la photographie détournant le tableau de Jacob Van Ruysdael qui, dans la salle, lui fait face, semble presque capter l’essence des paysages du peintre flamand. Le spectateur, à la jonction des deux tableaux, se trouve dans la position exacte du miroir qu’a introduit l’artiste au centre de l’image.

Laurence Aëgerter, PDUT927-1811261337 (Van Ruysdael), 2019, de la série Compositions catalytiques, 2018-2020, tirage ultrachrome, 41×46 cm

Une pure apparition photographique

Et puis, il y a cette incroyable litophanie tirée d’un daguerréotype représentant un enfant endormi. La figure semble inerte, tout juste esquissée par quelques volumes en bas-relief dans la pierre. Mais qu’un rayon de soleil vienne à l’éclairer par derrière et l’image apparaitra, révélant ses valeurs de clair et de sombre avec tous les détails d’une photographie.

C’est ainsi à une promenade érudite et pleine de surprises que nous convie Laurence Aëgerter : le spectateur y suit le chemin de l’art, lequel n’est certainement pas linéraire (et encore moins progressif).

L’art a tout à gagner à jouer de ces ponts entre les époques et les pratiques (tiens, The Bridge, c’est justement le nom du nouvel espace de la galerie Christian Berst, passerelle entre l’art brut et d’autres catégories de l’art, inauguration le 22 octobre prochain).

Ne pas étiqueter, ranger, limiter l’art mais, comme par ricochet, se servir de la force des éléments présents pour aller ailleurs, dans l’inconnu.

©Laurence Aëgerter, PPP2576-2006291711 (Both), 2020, tirage ultrachrome, 93×130 cm

Découvrir

L’exposition Ici mieux qu’en face de Laurence Aëgerter se tient au Petit Palais.
Commissariat : Fannie Escoulen (commissaire invitée), Christophe Leribault, Clara Roca (commissaires du Petit Palais)
Dates : 6 octobre 2020 au 17 janvier 2021
Horaires : mardi au dimanche de 10h à 18h
Entrée libre

petitpalais.paris.fr


En savoir plus

Site de l’artiste : laurenceaegerter.com


Lire

Aux éditions Actes Sud et sous la direction Fannie Escoulen, sortie le 16 octobre de la monographie Laurence Aëgerter – Ici mieux qu’en face.

Découvrir Ici mieux qu’en face sur le site des éditions Actes Sud