La photographe est-elle l’avenir de la BD ? Réponse avec deux nouveautés à l’appui.
Voilà quelque temps que Viens Voir n’était pas allé jeté un oeil du côté de la BD. Pas toutes les BD, bien sûr : plus particulièrement celles qui touchent de près ou de loin à la photographie, ou qui sont en rapport avec un sujet traité sur le blog (un bel exemple ici), puisque pour nous, il ne fait aucun doute que le récit graphique est une forme artistique à part entière.
Et justement, paraissent en même temps deux récits dont le personnage principal est une femme photographe (j’en connais qui vont s’en réjouir) : L’Observatrice (scénario Emmanuel Hamon et Damien Vidal, dessin Damien Vidal) et Spill Zone (Scott Westerweld au scénario et Alex Puvilland au dessin), tous deux publiés chez Rue de Sèvres.
L’année dernière avait déjà vu la publication d’un volume consacré à la reporter Sarah Caron (La Boîte à Bulles). Ce n’est pas seulement la femme-photographe qui a le vent en poupe, mais aussi la machine photographique et sa capacité à s’interposer entre le lecteur et ce qui est représenté. Où l’on retrouve toutes ces stratégies qui nous mettent en position de regarder à travers le viseur : calquer sur la case dessinée les paramètres et icônes qui apparaissent à l’intérieur du viseur. Voire même les utiliser à la manière d’un dialogue ou d’un commentaire sur l’action, comme c’est le cas dans la très efficace dernière planche de l’Observatrice.
Je recenserai un jour les différentes stratégies qu’utilisent les dessinateurs de BD pour faire comprendre qu’on est en train de regarder une photographie alors qu’on n’est jamais passé que du dessin au dessin (de Art Spiegelman à Alison Bechdel, nous aurons de quoi nourrir l’analyse). Dans Spill Zone, les icônes, par exemple celles figurant l’autofocus, transforment immédiatement le cadre de la case en cadre photographique et parviennent même à faire sentir des émotions qui ouvrent sur d’autres formes de langage séquentiel : la précarité menaçante de l’instant arrêté ou la limite du cadre photographique qui suggère que le danger pourrait rôder hors-champ.
Mais dans les deux récits, l’aura de l’activité photographique est bien différente.
Ainsi, dans L’Observatrice, Mathilde, jeune parisienne de 27 ans chargée un peu à la va-vite d’une mission d’observation du processus démocratique au Kirghizistan, ne semble-t-elle pas très investie dans sa pratique photographique : elle photographie un peu, ici ou là. Pratique pseudo-touristique ou mode d’entrée en contact avec le monde ? Toujours est-il que nous retrouvons, comme souvent, ce mythe qui consiste à penser qu’au bout du chemin des images, c’est toujours lui-même que le photographe finit par trouver …
Spill Zone, qui n’est que le premier tome d’une série prometteuse, est à cet égard beaucoup plus passionnant : la photographe vit de ses clichés, ceux d’une zone interdite car irradiée, qu’elle vend (cher, très très cher) à une galerie d’art. Risque maximum pour prendre ces photos, harnachement quasi-militaire, on est loin du gilet à poches ! L’histoire est un mélange d’enquête policière et de récit de science-fiction qui ne plaira pas qu’aux adolescents. Et puis il y a un beau photographe concurrent qui permettra peut-être d’élucider les mystères de la Spill Zone. La rivalité entre les deux photographes se nouera-t-elle en intrigue amoureuse ? Insoutenable suspens. Vite, vite, on attend la suite d’une très bonne BD au dessin tranché et nerveux.
Bonne lecture !