C’est une belle vie que de chercher la beauté dans ce monde

© CIG HARVEY, COURTESY PRIX VIRGINIA

L’anglo-américaine Cig Harvey est la nouvelle lauréate du Prix Virginia 2018, prix attribué à une femme photographe. Elle nous commente quelques-unes de ses images les plus fortes et nous éclaire sur sa pratique photographique.

English version included below

Il est toujours question de photographie : comment on la fait ? Comment on la vit ? Pourquoi on la pratique ? Quest-ce qu’on y cherche ?
Personnellement, je dois reconnaître que, la plupart du temps, je la pense. Oh, pas à la manière du Penseur de Rodin, préparant longuement l’appui sur le déclencheur ou une analyse d’image. Plutôt comme quelqu’un qui s’intéresse surtout à la photographie pour sa valeur discursive, une sorte de parole visuelle.


Alors, croiser la pratique de Cig Harvey, nouvelle lauréate du prix Virginia (lire l’article précédent à propos du Prix) aussi physique que poétique, c’est se souvenir que la photographie peut être cette écriture directe, difficile à verbaliser, générée par les évènements du monde plutôt que cherchant à les expliquer.
Promenade commentée de l’exposition en compagnie de l’auteure.

© CIG HARVEY, COURTESY PRIX VIRGINIA

Cig Harvey : quand je photographie, je recherche ces moments où on a le souffle coupé (pendant le reste de notre conversation, elle ne prononcera plus l’expression mais mimera seulement le geste, essayant de trouver sa respiration, la main posée sur la poitrine). J’ai lu une étude dans le Wall Street journal selon laquelle les personnes qui avaient trop souvent le souffle coupé pouvaient être amenées à souffrir de troubles psychologiques. Je voudrais retranscrire ces instants du corps, qui sont comme des réflexes et dont certains ont quelque chose à voir avec l’apparition de la beauté. Pour cette photo, je n’avais jamais vu un arc-en-ciel de si près, et le contraste avec le ciel d’orage m’a saisi. C’est évidemment une image prise sur le vif, non préméditée.

© CIG HARVEY, COURTESY PRIX VIRGINIA

Cette fille perdue dans la neige, avec le blizzard qui souffle, c’est l’image de cette grande beauté au milieu d’un endroit effrayant, presque hostile. Le signe que les choses ne sont pas toujours ce qu’elles paraissent être. J’utilise la météo, l’atmosphère et les conditions lumineuses pour sublimer le quotidien.
Ce que j’aime dans la photographie et qui est très présent dans mon travail, c’est l’idée du temps. Je suis à l’affût de ces moments si fugaces de nos existences.
Viensvoir : vous voudriez que le spectateur ait le souffle coupé en regardant vos photos ?
Cig Harvey : ce serait fantastique, bien sûr, mais c’est peut-être trop demander, non ? Mon plus grand désir, ce serait que mes photos aident à apprécier ces choses de la vie de tous les jours.
C’est votre fille, je crois, sur la photo ?
Oui, je photographie souvent mes proches. Simplement parce que toutes ces photos sont ma vie. alors, il se trouve que j’ai une fille (on sent un amour infini quand elle parle d’elle) et que c’est une part très importante de ma vie. Et je crois que le jour où je suis devenue mère, je suis devenue une meilleure photographe.

© CIG HARVEY, COURTESY PRIX VIRGINIA

Cette photo, contrairement à la majorité des autres, est une photo construite. Et c’est une bonne histoire aussi (rires), même si personne n’achète cette photo ! Il s’agit du dentier de mon beau-père, un vieux monsieur aujourd’hui. Quand il vient chez nous, il le laisse dans la salle de bains toute la nuit et comme contrairement à lui, je me lève tôt le matin (j’écris toujours le matin, avant que la maison ne soit réveillée : écrire, pour moi, c’est une manière d’accéder à mes idées), je passe devant ces dents… Je les ai prises et j’ai essayé de les photographier dans la cuisine, dehors, dans mon studio photo et finalement, je les mises devant un mur rose et là, ça a marché. Parce que cette couleur, c’est une forme d’innocence devant les dents du vieil homme, quelque chose d’un peu sinistre, mais en même temps, une sorte de sourire. Et je pense aussi à toutes les histoires que cette bouche pourrait raconter.
Vous retouchez beaucoup vos photos ?
Non, de simple retouches de contraste ou de couleur. Je suis vraiment obsédée par la couleur. Mais mon travail, plus que de fabriquer les images, c’est de les trouver, d’être ouverte à mes sens quand je photographie.

© CIG HARVEY, COURTESY PRIX VIRGINIA

Je devais photographier ces spécimens pour un magazine. Ils sont arrivés par la poste, mais le transport les avait endommagés. Ils étaient à la fois si beaux et si abîmés, comme une métaphore de la vie, où tout peut aller bien et puis, brusquement, basculer. Je ne pouvais pas les réparer, mais leur rendre un peu de leur milieu naturel.
Vous photographiez chaque jour ?
Tous les jours. J’essaie essentiellement de fixer ce qui me touche et ce qui est important dans ma vie.

Le site du Prix Virginia.
L’exposition Cig Harvey se tient à l’espace Oppidum, 30 rue de Picardie, face au Carreau du Temple.
Le mercredi 24 octobre 2018 à 19h aura lieu une rencontre, animée par Caroline Broué, journaliste et productrice à France Culture, avec Siân Davey, lauréate du Prix Virginia 2016 et les éditions be-pôles.

 
 

English version

It is a beautiful life to seek beauty in this world

© CIG HARVEY, COURTESY PRIX VIRGINIA

Anglo-American Cig Harvey is the new winner of the 2018 Virginia Prize, awarded to a female photographer. She comments on some of her most powerful images and enlightens us on her photographic practice.

It’s always about photography: how do you do it? How does it feel? Why do we practice it? What are we looking for?
Personally, I have to admit that most of the time I think it. Oh, not like Rodin’s Thinker, preparing for a long press of the shutter button or an image analysis. More like someone who is mainly interested in photography for its discursive value, a kind of visual speech.

So, to cross the practice of Cig Harvey, the new winner of the Virginia Prize (previous article about the Prize), both physical and poetic, is to remember that photography can be this direct writing, difficult to verbalize, generated by world events rather than seeking to explain them.
Commented walk of the exhibition with the author.

© CIG HARVEY, COURTESY PRIX VIRGINIA

Cig Harvey: when I photograph, I look for those moments when we are breathless (during the rest of our conversation, she will no longer pronounce the expression but will only mimic the gesture, trying to find her breath, her hand on her chest). I read a study in the Wall Street journal that said that people who were too often out of breath could suffer from psychological disorders. I would like to transcribe these moments of the body, which are like reflexes and some of which have something to do with the appearance of beauty. For this picture, I had never seen a rainbow so close up, and the contrast with the stormy sky caught me. It is obviously an image taken on the spot, not premeditated.

© CIG HARVEY, COURTESY PRIX VIRGINIA

This girl lost in the snow, with the blizzard blowing, is the image of this great beauty in the middle of a frightening, almost hostile place. A sign that things are not always what they seem. I use the weather, the atmosphere and the light conditions to enhance everyday life.
What I like about photography and which is very present in my work is the idea of time. I am on the lookout for such fleeting moments in our lives.
Viensvoir: would you like the spectator to be breathless when looking at your photos?
Cig Harvey: That would be fantastic, of course, but maybe it’s too much to ask, right? My greatest wish would be that my photos help to appreciate these things in everyday life.
Is that your daughter, in the picture?
Yes, I often photograph my loved ones. Simply because all these photos are my life. So it just so happens that I have a daughter (you can feel an infinite love when she talks about her) and that it is a very important part of my life. And I think the day I became a mother, I became a better photographer.

© CIG HARVEY, COURTESY PRIX VIRGINIA

This photo, unlike most others, is a constructed photo. And it’s a good story too, even if no one buys this picture (laughs)! It’s my stepfather’s dentures, an old man today. When he comes to our house, he leaves it in the bathroom all night and unlike him, I get up early in the morning (I always write in the morning, before the house is awake: writing, for me, is a way to access my ideas), I walk past these teeth… I took them and tried to photograph them in the kitchen, outside, in my photo studio and finally, I put them in front of a pink wall and there it worked. Because this color is a form of innocence in front of the old man’s teeth, something a little sinister, but at the same time, a kind of smile. And I also think of all the stories that this mouth could tell.
Do you retouch your photos a lot?
No, simple retouching of contrast or color. I’m really obsessed with color. But my job, more than making images, is to find them, to be open to my senses when I photograph.

© CIG HARVEY, COURTESY PRIX VIRGINIA

I was supposed to photograph these specimens for a magazine. They arrived by post, but the transport had damaged them. They were at the same time so beautiful and so damaged, like a metaphor of life where everything can go well and then, suddenly, change. I couldn’t fix them, but I could give them back some of their natural environment.
Do you photograph every day?
Every day. I try to photograph what touches me and what is important in my life.