Bertrand Flachot, l’ivre de dessin

dessin de bertrand flachot artiste

A la confluence de la photographie, du dessin, de l’écriture et de la performance, l’oeuvre de Bertrand Flachot déroule un chemin singulier. Visite d’atelier avant son exposition monographique qui ouvre le 13 février au musée de la Seine-et-Marne.

De même que toute photographie, disait un ami proche, est une forme d’autoportrait, tout portrait d’artiste n’est, dans une certaine mesure, qu’un reflet de soi-même. Je ne pus mieux m’en rendre compte qu’en relisant mes notes sur cette visite à l’atelier de Bertrand Flachot, dans un petit village de Seine-et-Marne. Dans mon carnet, par un désordre que je ne m’expliquais pas, ses aphorismes se mêlaient aux miens et j’avais complété certaines des paroles dites en ce jour de juin de l’année dernière par des notes personnelles plus tardives sur quelques photos que j’avais prises ultérieurement dans une ville de Loire-Atlantique. Sur les quatre pages, l’entrelacs était quasi indémélâble tant la réflexion se prolongeait d’une pensée à l’autre et je ne distinguais plus très bien les paroles de Bertrand de mes commentaires sur celles-ci.

C’est pourquoi faire ici un éloge trop appuyé de l’oeuvre de Bertrand Flachot serait suspecté de mal dissimuler une auto-satisfaction. Il suffira de parler d’affinités électives mais ce serait trop évasif pour évoquer la longue conversation de jour-là, qui généra sa part de vérités, d’inspirations et de silences qui résonnèrent longtemps après.

artiste bertrand flachot en train de dessiner

Se perdre
dans le dessin

Je voudrais me perdre dans le dessin. Combien de fois ai-je entendu cette phrase dans la bouche de Bertrand Flachot, prononcée en baissant la voix ?

Et c’est bien ce qui apparaît dans sa pratique éminemment singulière unissant photographie et dessin (auxquels s’ajoutent parfois les mots) en des noces vertigineuses. Il y a en lui du peintre chinois, aussi bien lettré qu’artisan jusqu’à la pointe de l’outil : appliqué, obstiné, investi corps et âme dans sa quête, convaincu que c’est dans une feuille de papier que se déploient le mieux les mystères du monde. Il y a chez lui la même sagesse, laquelle masque une certaine inquiétude dès lors que la vie cesse de s’éprouver à travers des gestes générant une fatigue physique. Comme si la Contemplation ne pouvait se séparer du Faire.

peinture d'un arbre jaune d'or

Dessiner sur une photo

J’ai moi-même tenté bien des fois de dessiner sur des photographies, ne rencontrant, in fine, que l’échec : mon trait de crayon ne savait pas comment se rendre indispensable au réel photographique ; soit il le soulignait avec excès, soit il l’ornementait avec mièvrerie. Il le dominait ou lui était soumis. Jamais il ne vivait ni n’avançait main dans la main avec de réel. Il aurait fallu inventer un trait qui fût une blessure ou une cicatrice, mais je n’en avais pas l’audace. Il aurait surtout fallu que le dessin ne fût pas pensé mais vécu physiquement, comme l’exprime si bien l’action (ou le fantasme ultime) de se perdre dans le dessin.

dessins dans atelier de Bertrand Flachot artiste

Physicalité
de la tablette graphique

Les mains de Bertrand Flachot ont cette espèce d’indépendance qui leur permet de s’affranchir du contrôle du cerveau. Il faut ici rappeler qu’une partie importante de son travail s’effectue avec une palette graphique reliée à l’ordinateur, pratique dans laquelle je le crois un artiste assez unique en son genre. Non parce qu’il dessine avec des moyens numériques, ce qui est devenu courant, mais parce qu’il a trouvé dans ces outils une physicalité qui lui est propre. Ainsi, le trait glisse-t-il à la surface et, s’isolant sur le calque du logiciel, peut se détacher librement de son support afin de se poser sur un autre. Qu’est-ce donc que ce trait flottant : une épure ou l’essence du tracé ? Le dessin comme prolongement du corps, trace de l’activité nerveuse. Une sorte d’agitation sismographique d’autant plus étrange que le geste se trouve dissocié de son action, puisque le trait se matérialise sur l’écran, à un écart de plusieurs centimètres avec la main et le stylet. Travailler à l’aveugle dit Bertrand Flachot, avouant que parfois, il ne regarde même pas l’écran tandis qu’il trace et trace encore.

carnet de dessin de Bertrand Flachot artiste

Le motif
dans le tapis

Se perdre dans le dessin ? Sur les murs et au sol, debout, grimpé sur une échelle ou à genoux, Bertrand Flachot biffe la photographie originelle, la zèbre de traits amples ou de minuscules griffures. Il colle le nez à l’image, gomme délicatement pour corriger un repentir que lui seul distingue dans cet amas de traits dont on ne sait plus très bien s’il recouvre la photographie jusqu’à la faire disparaitre ou si, au contraire, il la dépouille pour en révéler la substance. Mais peut-être n’est-ce plus tant du dessin qu’une écriture à déchiffrer, comme celle du Motif dans le tapis dans la nouvelle éponyme d’Henry James.

Le dessin ne cesse de s’échapper de la feuille, du support sur lequel on croirait le maintenir. Il ne cesse de s’envoler. Pour rejoindre le vrai monde.

atelier de Bertrand Flachot artiste

Epilogue

Quelques jours plus tard, je jetai encore un oeil sur mon carnet. Et le motif m’apparut soudain : l’entrelacs de notes, de paroles et de commentaires n’était pas qu’un accident maladroit ou insconscient. Il reproduisait, à sa manière, et comme par un étrange sortilège, les tracés buissonnants de Bertrand Flachot.

 


Actualités de Bertrand Flachot

L’exposition de Bertrand Flachot, La Part du Trait, se tient du 13 février au 27 novembre au musée de la Seine-et-Marne, à Saint-Cyr-sur-Morin.
Plusieurs évènements scandent l’exposition
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A l’occasion de l’exposition paraît une monographie, La Part du Trait, publié chez Trans Photographic Press (126 pages).
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Bertrand Flachot est représenté par la galerie Marguerite Millin.
Gallerie Marguerite Millin
Bertrand Flachot