Un article indispensable dans le numéro de février D’Art Press.

Il y a plusieurs manières de tenir un discours sur l’art, ses acteurs, ses productions et ses effets. Ce sont autant de domaines de l’art que l’on peut dénombrer. Ainsi, pour parler d’art, je peux parler de :

– la beauté des oeuvres, de mon goût (ou mon dégoût) pour elles, de la perception que j’en ai. C’est le champ de l’esthétique.

– des matériaux employés pour faire ces oeuvres, des médiums et de leurs spécificités. C’est le champ lié à la technique.

– des artistes, leur biographie, leur parcours, leurs mécènes ; des conditions de création, des institutions qui soutiennent l’art. C’est le champ social de l’art.

– du contexte historique dans lequel apparait l’art, de la conception du monde dans laquelle il prend place ou qu’il contribue à modifier, de ses liens avec le domaine politique. C’est l’art tel qu’il s’inscrit dans l’histoire des idées.

– enfin de la valorisation des oeuvres, du marché de l’art, des cotes des artistes. C’est le champ économique de l’art.

Bien différencier ces champs est souvent fondamental pour bien comprendre les phénomènes de réévaluation ou dévaluation des artistes. Exemple d’actualité puisqu’une expo Vermeer va débuter au Louvre : sur quel(s) domaine(s) s’est basée la réévaluation de Vermeer au début du XXème siècle ?

Bien sûr, tous ces champs communiquent entre eux et une bonne histoire de l’art devrait les traiter tous, mais sans les confondre dans des amalgames désastreux pour la pensée. Exemple le plus courant : tenir un discours esthétique sur un artiste ou une oeuvre au nom de sa valorisation économique.

Le champ économique de l’art est celui qui est le moins creusé par les histoires de l’art, celui sur lequel nous avons le plus d’idées reçues : nous nous contentons souvent de commenter de quelques chiffres de ventes aux enchères. Dans le numéro de février de la revue Art press, Catherine Millet y interviewe Luc Boltanski et Arnaud Esquerre, les auteurs du livre « Enrichissement, une critique de la marchandise » (Gallimard / NRF). L’interview est passionnante, fertile. Je retiens ces quelques mots de la partie intitulée prolo ou créateur ?, dans laquelle il est question de l’artiste aujourd’hui : « (…) Ils sont les commerçants d’eux-mêmes (…) Le temps pris par la vie professionnelle est gigantesque et ne laisse plus beaucoup de temps pour la vie associative ou politique (…) Certaines vies se construisent à un coût physique et émotionnel extrêmement grand. »


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Des mots qui doivent résonner à l’oreille de beaucoup d’entre nous. Il y a plein d’autres idées fortes dans cet article qui revisite la notion d’art comme marchandise avec beaucoup d’acuité. Une lecture indispensable.