Arles 2019, le meilleur des expositions des Rencontres de la Photographie

Gundula Schulze Eldowy, Berlin 1987, série Berlin par une nuit de chien. Avec l’aimable autorisation de l’artiste

Quelles sont les expositions à ne pas rater aux Rencontre de la Photographie d’Arles 2019 ? Notre chroniqueuse, Laure Chagnon vous dit tout, enfin presque…

Un nouvel été photographique vient de débuter à Arles. Une cinquantième édition des Rencontres, qui, solidement bâtie sur les piliers de la photographie historique (Helen Levitt, Germaine Krull, Abigail Heyman…) célèbre pourtant son anniversaire avec sobriété.
En effet la programmation, très européenne, met largement l’accent sur la période 1970-1990, cette époque pré-numérique qui, pour ceux qui l’ont vécue, n’appelle pas forcement à la nostalgie : début du chômage de masse, bouleversements géopolitiques, espoirs et désillusions, no futur !

Les expositions Corps impatients (Allemagne de l’Est), Libuse Jarcovjakova (Tchécoslovaquie), Movida (Espagne) dressent le portait d’une jeunesse qui commence sa journée par la nuit. Les regards défient l’objectif, les postures sont flamboyantes mais les corps sont bientôt vaincus par la drogue et l’alcool. Ouka Lelee  membre de la Movida et qui signe l’affiche des Rencontres donne à ces errances un peu de couleur (acide).

Libuše Jarcovjáková, Autoportrait, Prague, 1981. Avec l’aimable autorisation de l’artiste

Nous restons en Europe et dans ces mêmes années, mais bien au chaud à la maison avec Home, Sweet Home : une vie anglaise vue depuis le living room.
Si les premiers photographes se donnaient comme mission de témoigner du monde extérieur, ici, les artistes anglais font leur manne du dedans, des intérieurs de leur compatriotes dans une démarche définitivement politique.

Daniel Meadows & Martin Parr/Magnum, June Street, Salford, 1973.

Prenons alors un nouveau souffle dans des perspectives actuelles avec l’installation de Mohamed Bourouissa : Libre-échange qui investi les 1000 m2 du premier étage du Monoprix.Et là, bienvenue en 2019 : ici on parle de flux, humain ou monétaire, de la diaspora algérienne et de la valeur des hommes.
Images posées, images volées, sculptures, vidéos, application mobile, les moyens s’entremêlent pour étayer le propos de l’artiste. Même depuis l’intérieur d’une prison, Mohamed Bourouissa branche ses câbles partout où les échanges sont possibles.

Mohamed Bourouissa, Carré rouge, de la série Périphérique, 2005. Avec l’aimable autorisation de l’artiste et kamel mennour, Paris/London. ADAGP (Paris) 2019.

Impossible de faire l’impasse sur l’exposition Photo / Brut, Collection Bruno Decharme & Compagnie, un pan rarement présenté de l’art brut. Ici le visiteur part en piqué dans une folle expédition à travers la jungle des névroses et des obsessions, où les oeuvres produites n’ont d’autres destinataires que leurs auteurs.
L’image photographique devient un outil pour survivre à un chaos identitaire, une mise en ordre du monde, une protection contre la douleur psychique.
Le foisonnement plastique des oeuvres est spectaculaire. Depuis les poupées aussi inquiétantes que magnifiquement réalisées de Morton Bartlett jusqu’à la documentation névrotique d’une relation adultérine entre un certain Günter et sa secrétaire Margret, la photographie s’impose comme une nécessité existentielle.

MORTON BARTLETT, circa 1950

Les pipes de Fumiko Endo réalisées avec des magazines pornographique découpés puis enroulés laissent sans voix (même si le jeu de mot ne fonctionne pas forcement en japonais) : ne les cherchez pas ailleurs qu’aux Rencontres d’Arles, elles sont invisibles sur la toile…

Fumiko Endo

Les auto-portraits du dit Zorro, discrètement BDSM ou ceux de Thomasz Machcinski, bien que sans visée artistique déclarée, rappellent de façon troublante le travail d’une Cindy Sherman.

Thomasz Machcinsky en Mère Thérésa

Cette photo brute au delà du plaisir esthétique qu’elle procure soulève des questions qui ressemblent à un sujet du bac : qu’est-ce-que l’art ? Pourquoi produit-on une image ?

On pousse encore de nouvelles portes avec l’exposition Sur Terre, curatée par le FOAM d’Amsterdam, qui replace l’humain dans la nature.
Mais si on pensait sortir des problématiques sociales et mentales des univers urbains, on réalise très vite que l’environnement naturel n’échappe pas au politique. Les photographies présentées par Mishka Henner ont la beauté du diable : d’étranges formes géométriques autour desquelles s’enroulent de douces courbes bleutées se révèlent être d’immenses champs d’engraissement pour bovins avec les lacs d’eaux polluées qu’ils génèrent. Et ces milliers de petits pixels noirs ? Des vaches, livrées à la voracité sans limite d’humains carnivores.

© Mishka Henner, Tascosa Feedyard, Bushland, Texas (detail), 2012-2013

Pour les citadins que nous sommes presque tous devenus, le contact physique avec la nature se fait rarement sans filtre. Le beau travail d’Adam Jeppesen et ses photos de glaciers sur papier de riz pliés le révèle, soulignant ainsi que la nature ne se constitue pas directement en paysage, mais que celui-ci est une construction.

Adam Jeppesen, AR Chalten II, série Plié, 2014.

Enfin, la video de Jonathas de Andrade met en scène des pêcheurs brésiliens étreignant et caressant des poissons en train de mourir. Cette parodie de film anthropologique et délicieusement maniériste nous entraine dans une méditation sur les rapports de domination et de dépendance que nous entretenons avec la nature.

Jonathas de Andrade

Cette proposition tactile pourrait clore la visite des Rencontres, les poissons à dévorer faisant écho au banquet artistique arlésien duquel nous sortons repus d’images et nourris des propos les plus variés.
Un parcours à suivre selon son appétit à Arles jusqu’à fin septembre.

Le site des Rencontres d’Arles

Formée à l’école des Arts Décoratifs, Laure Chagnon développe sa pratique artistique autour de créations hybrides mêlant photographie, verre et céramique. Elle anime des ateliers libres de céramique à Paris./em> la qualité du produit…